
20. octobre 2022Newsletter
Newsletter #3 10/2022 La révision du droit des successions : Qu'est-ce qui va changer au 1er janvier 2023 ?
Philippe Frésard et Philip Laternser explorent les changements importants à venir dans le droit successoral Suisse et analysentcomment cela affectera les individus.
Aperçu: La première étape de la révision du droit des successions – aussi appelée « étape politique » (ci-après : la « Révision ») - va entrer en vigueur le 1er janvier 2023. La présente Newsletter a pour ambition de donner un aperçu des changements à venir qui peuvent être regroupés en six thèmes principaux. Lors des débats parlementaires, une autre nouveauté qui avait été envisagée, à savoir « une créance d’assistance au partenaire de vie » a finalement été supprimée sans être remplacée dans le cadre de cette Révision. Pour des raisons de lisibilité, nous avons renoncé à utiliser simultanément les formes linguistiques masculine, féminine et diverse. Toutes les désignations de personnes s'appliquent indifféremment à tous les sexes. Premier thème : La modification des réserves Dans certaines constellations, le droit suisse des successions consacre le fait qu’une quote-part de la part successorale légale ne puisse en principe pas être retirée - c'est ce qu'on appelle la réserve héréditaire. Or, la Révision supprime la réserve héréditaire des parents qui existait jusqu’alors. A partir du 1er janvier 2023, seuls les descendants et le conjoint/partenaire enregistré survivant auront donc encore droit à une réserve héréditaire (art. 470, al. 1, nCC). Pour les descendants, la réserve héréditaire s'élève désormais à ½ au lieu de ¾ de la part légale. Pour le conjoint la part réservataire demeure fixée à ½ de la part légale, comme jusqu’ici (art. 471 nCC). Tout testateur pourra donc nouvellement disposer librement d'au moins la moitié des biens de la succession. Parallèlement à la réduction des parts réservataires des descendants, l'art. 473 CC est également modifié : Selon cette disposition, un testateur peut aujourd'hui attribuer au conjoint survivant par exemple ¼ de la succession en pleine propriété, et ¾ de la succession en usufruit (la nue-propriété de ces ¾ allant aux descendants communs. La Révision élargit la marge de manœuvre des époux en augmentant de ¼ à ½ la part que les époux peuvent s'attribuer en pleine propriété en plus de l'usufruit (art. 473 al. 2 nCC). Le nouveau droit des réserves héréditaires s'applique aux testaments et pactes successoraux existants si le testateur décède après le 31 décembre 2022 (principe de la date du décès selon l'art. 16 al. 3 Titre final CC). Si un tel testament ou pacte successoral mentionne par exemple explicitement l’ancienne réserve des descendants de ¾ de la part légale, il faudra recourir à l'interprétation pour savoir si le testateur a voulu exprimer, en se référant à la réserve héréditaire selon l'ancien droit, que la personne concernée devait recevoir le moins possible (auquel cas on appliquerait la nouvelle réserve héréditaire) ou si la personne a en quelque sorte été avantagée à hauteur de la part effectivement indiquée, supérieure à la nouvelle réserve. C'est pourquoi il convient de bien vérifier les testaments et pactes successoraux existants pour voir s'ils correspondent encore à la volonté réelle des parties suite à la Révision ou si, dans le cas contraire, il convient de les adapter. Deuxième thème : L’élimination des incertitudes concernant l’objet et l'ordre des réductions Lorsque la réserve héréditaire est violée par des dispositions pour cause de mort ou des libéralités entre vifs effectuées par le testateur, l'héritier réservataire concerné peut demander que les libéralités soient réduites ou annulées et ainsi faire en sorte que sa réserve héréditaire soit rétablie ou « comblée ». Ce processus est appelé « réduction » (cf. art. 522 ss CC). Dans le cadre de la Révision, l'art. 532 CC a été reformulé. Les incertitudes sur la question de savoir quelles dévolutions peuvent être réduites et dans quel ordre ont été supprimées. Ainsi, l'art. 532 al. 1 nCC mentionne désormais expressément que non seulement les libéralités pour cause de mort (p. ex. un legs) ou les libéralités entre vifs (p. ex. une donation), mais aussi les acquisitions pour cause de mort résultant de la loi – ces dernières en tout premier lieu - peuvent être réduites si les réserves héréditaires ont été violées (une réduction d’acquisitions pour cause de mort résultant de la loi entre p. ex. en ligne de compte lorsque le testateur a confirmé l'ordre successoral légal et, en même temps, a prévu des legs violant les réserves héréditaires). En outre, l'art. 532 al. 2 nCC mentionne explicitement les libéralités accordées par contrat de mariage parmi les libéralités entre vifs, ce qui permet de clarifier la controverse doctrinale sur le fait de savoir si les libéralités matrimoniales doivent être qualifiées de libéralités entre vifs ou de dispositions pour cause de mort. Cette controverse était tout à fait pertinente puisque la réduction s’opère, après la réduction d’acquisitions pour cause de mort résultant de la loi, à l’encontre des libéralités pour cause de mort et enfin seulement à l’encontre des libéralités entre vifs. La qualification des avantages matrimoniaux au titre de libéralités entre vifs protège donc le conjoint survivant car la favorisation issue du contrat de mariage n'est réduite qu'en troisième lieu en cas de violation de la réserve. Troisième thème : Les effets du divorce sur le droit successoral Jusqu'à présent, le conjoint perdait la qualité d'héritier et d’héritier réservataire après l’entrée en force du jugement de divorce seulement (art. 120 al. 2 CC). Désormais, le conjoint survivant perd la protection découlant de sa réserve dès lors qu'une procédure de divorce est pendante au jour du décès du défunt et si cette procédure de divorce a été introduite sur requête commune (art. 111 CC) ou si les époux ont vécu séparés pendant deux ans au moins (art. 472 al. 1 nCC). Mais attention, la litispendance de la procédure de divorce n’entraîne « que » la perte de la réserve héréditaire et non celle du droit de succession légal. Cela signifie qu’il y a lieu d’activement supprimer le droit de succession légal du conjoint au moyen d'une disposition pour cause de mort (p. ex. par un testament) si l’on entend l’exclure. En outre, la litispendance de la procédure de divorce rend caduques tous les avantages résultant de testaments et de pactes successoraux (art. 120 al. 3 nCC), la clause bénéficiaire d’un contrat de mariage dans le cadre de la participation aux acquêts (art. 217 al. 2 nCC) ainsi que la clause bénéficiaire d’un contrat de mariage modifiant le partage légal des biens communs (art. 241 al. 4 nCC), sauf convention ou disposition contraire. Quatrième thème : L’avantage matrimonial n’est pas pris en compte dans la masse de calcul des réserves Les époux qui souhaitent favoriser le conjoint survivant ou se favoriser mutuellement au maximum en cas de décès et qui sont soumis au régime matrimonial de la participation aux acquêts peuvent s'attribuer par contrat de mariage la totalité des deux bénéfices d’acquêts (art. 216 al. 1 CC). Cela a pour conséquence que le conjoint survivant reçoit en principe tous les biens que les époux ont acquis à titre onéreux pendant le mariage - en premier lieu le produit du travail qu’ils sont parvenus à épargner. De telles conventions ne doivent pas respecter les réserves héréditaires des descendants communs (art. 216 al. 2 CC), raison pour laquelle elles sont très répandues dans la pratique. Jusqu'à présent, deux interprétations doctrinales de l'art. 216 al. 1 CC s’opposaient. D’une part, première interprétation, s’il n’y a pas lieu de tenir compte de la clause du contrat de mariage favorisant le conjoint survivant dans le calcul des réserves héréditaires des descendants communs (contrairement à celles des descendants non communs) ou, d’autre part et seconde interprétation, s’il y a lieu de tenir compte d’une telle clause dans le cadre du calcul des réserves héréditaires de tous les descendants, mais sans toutefois que les descendants communs ne puissent attaquer et faire réduire cette clause bénéficiaire (contrairement aux descendants non communs). La seconde interprétation conduit plutôt à une violation de la réserve des descendants communs, ce que ceux-ci peuvent potentiellement corriger par le biais des biens propres du défunt (c'est-à-dire des biens apportés dans le mariage ou acquis depuis lors par donation ou succession), au détriment du conjoint survivant. C'est pourquoi l'art. 216 al. 2 nCC stipule expressément que l'attribution par contrat de mariage n'est pas ajoutée à la masse de calcul des réserves du conjoint survivant, des enfants communs et de leurs descendants. Le législateur entend ainsi répondre au besoin de favoriser le conjoint survivant au maximum. Cinquième thème : La création d'une interdiction de disposer après la conclusion d'un pacte successoral Selon la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral, les libéralités effectuées après la conclusion d'un pacte successoral sont autorisées pour autant que le pacte successoral n'en dispose pas autrement et que le testateur n'ait pas manifestement l'intention de vider de leur substance les obligations qui lui incombent en vertu du pacte successoral ou de porter préjudice au bénéficiaire de ce dernier (ATF 140 III 193). Le Tribunal fédéral a ainsi statué une liberté de principe de disposer après la conclusion d'un pacte successoral, pour autant que celui-ci ne contienne pas d'interdiction pertinente ou que les dispositions ne soient pas constitutives d’un abus de droit. Dans la doctrine, cet arrêt a été largement rejeté de sorte que le législateur a souhaité reformuler l'art. 494 CC et inverser le principe : nouvellement, il existe une interdiction de principe de disposer après la conclusion d'un pacte successoral, à moins que le pacte ne réserve expressément la possibilité d’effectuer une libéralité. Concrètement, l'art. 494 al. 3 nCC stipule que les dispositions pour cause de mort et les libéralités entre vifs peuvent être attaquées si elles réduisent les avantages résultants du pacte successoral et si elles n'ont pas été réservées dans le pacte. A noter que si le défunt décède après le 31 décembre 2022 et en application du principe de la date du décès (cf. art. 16 al. 3 Titre final CC), la nouvelle réglementation s'applique également aux pactes successoraux existants et aux libéralités effectuées depuis leur conclusion. Or, la question de savoir si des donations et/ou des dispositions pour cause de mort sont autorisées après la conclusion d'un pacte successoral revêt une importance pratique considérable. C'est pourquoi il convient ici aussi de vérifier si la volonté des parties est correctement reflétée dans les pactes successoraux existants à la lumière du nouveau droit, ou si le pacte successoral doit être adapté (lorsque cela est possible). Sixième thème : La clarification concernant la prévoyance individuelle liée Jusqu'à présent, la prévoyance individuelle liée (pilier 3a) était traitée différemment du point de vue du droit successoral selon qu’elle s’effectuait auprès d’une fondation bancaire ou auprès d’un établissement d'assurances. Alors que l'avoir de prévoyance bancaire tombait dans la succession comme tout autre élément de patrimoine non lié, l'avoir auprès d’une assurance, lui, n’entrait pas dans la succession car les bénéficiaires possédaient une prétention directe vis-à-vis de l’institution de prévoyance (art. 78 LCA). A partir du 1er janvier 2023, ni les avoirs prévoyance bancaire, ni ceux d'assurance ne tomberont dans la succession. Désormais, dans les deux cas, les bénéficiaires posséderont un droit propre à la prestation vis-à-vis de la banque ou de l'assurance, de sorte que les avoirs devront être versés directement aux bénéficiaires (art. 82 al. 4 nLPP). Il convient toutefois de tenir compte du fait qu'une éventuelle valeur de rachat d'assurance, de même que le capital en cas d'épargne bancaire seront ajoutés à la masse de calcul des réserves et pourront, le cas échéant, être réduits (art. 476 et 529 nCC). Conclusion En ce qui concerne les parts réservataires, la révision du droit successoral apporte plus de flexibilité au testateur, ce qui est particulièrement bienvenu dans le cadre du transfert d’entreprises familiales par voie successorale. Il convient de noter que la transmission d'entreprise sera facilitée par des mesures supplémentaires dans le cadre de la deuxième partie de la révision à venir. Toutefois, les héritiers désavantagés pourraient être tentés d'augmenter la valeur de leur réserve en contestant les actes du défunt qui ont une incidence sur la masse de calcul des réserves (comme les donations entre vifs) ; ils pourraient aussi être amenés à contester l'évaluation de biens successoraux. N’oublions pas, en outre, que la révision du droit successoral (civil) ne s’accompagne pas d’une révision des impôts de succession ; à cet égard, la plus grande flexibilité pourrait s’avérer piégeuse. Selon les cantons, les conséquences fiscales peuvent s’avérer importantes, notamment pour les avantages accordés à des personnes sans lien de parenté. Pour les testaments et pactes successoraux établis avant le 1er janvier 2023, il est conseillé de vérifier si le montant de la réserve des descendants ressort clairement des dispositions et si le résultat de la vérification (¾ ou ½ de la part successorale légale) correspond à la volonté réelle du testateur. Dans le cas des pactes successoraux, il convient de contrôler en particulier s’ils reflètent encore correctement la volonté réelle des parties, suite au passage d'une liberté de disposer de principe à une interdiction de disposer de principe. La perte du droit à la réserve héréditaire après l’introduction d’une procédure de divorce sert à éviter des prolongations tactiques dans le cours de telles procédures. Après le dépôt de la demande de divorce, les époux sont toutefois invités à ne pas rester inactifs, si c’est leur souhait, et à supprimer le droit successoral légal de l'autre époux au moyen d'une disposition pour cause de mort. Par ailleurs, la révision du droit successoral permet de clarifier certaines questions d'interprétation, en donnant notamment plus de sécurité aux parties à un contrat de mariage lorsqu’elles entendent favoriser le conjoint survivant au maximum. Nos spécialistes se tiennent à votre disposition pour vous aider à bien planifier votre succession, y compris pour vérifier vos testaments et pactes successoraux actuels. Berne, en octobre 2022 Newsletter Erbsrechtsrevision - DeutschContacts![]() Philippe FrésardTél. +41 58 200 35 66 Fax +41 58 200 35 11 philippe.fresard@kellerhals-carrard.ch ![]() Dr. Philip LaternserTél. +41 58 200 35 53 Fax +41 58 200 35 11 philip.laternser@kellerhals-carrard.ch ![]() PD Dr. Dario AmmannTél. +41 58 200 30 67 Fax +41 58 200 30 11 dario.ammann@kellerhals-carrard.ch ![]() Dr. Marco BalmelliTél. +41 58 200 30 00 Fax +41 58 200 30 11 marco.balmelli@kellerhals-carrard.ch ![]() Nicolas GillardTél. +41582003308 Fax +41582003311 nicolas.gillard@kellerhals-carrard.ch ![]() Ingrid IselinTél. +41 58 200 32 00 Fax +41 58 200 32 11 ingrid.iselin@kellerhals-carrard.ch ![]() Peter SchatzTél. +41 58 200 39 03 peter.schatz@kellerhals-carrard.ch ![]() Prof. Dr. Annette SpycherTél. +41 58 200 35 42 Fax +41 58 200 35 11 annette.spycher@kellerhals-carrard.ch ![]() Giovanni StucchiTél. +41 58 200 31 00 Fax +41 58 200 31 11 giovanni.stucchi@kellerhals-carrard.ch |